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Textes poétiques

UN BONHEUR N’ARRIVE PAS SEUL(E)

UN BONHEUR N’ARRIVE PAS SEUL(E)

Chapitre 1 : L’ENFANT
Pf…pf…pf…quelques jours que ma mère a la tête à l’envers.
Pf…pf…pf…elle monte les escaliers accroupie sur une jambe puis sur l’autre.
vingt minutes pour monter les courses, ça me tape sur les nerfs.
Les sacs en mains, je la suis au cas où elle se vautre.

La la la la…une semaine que j’ai droit au récital.
La la la la…tous les matins, elle chantonne dans la salle de bains.
J’attends des heures, ce n’est vraiment pas normal.
pour modeler ma huppe et ressembler à Tintin.

Hi hi hi…elle rit comme une hyène à longueur de journée.
Ha ha ha…heureuse, le sourire scotché sur son visage.
Je ne comprends pas où sont les cris, ma maman énervée ?
Son stress quotidien aurait-il fait naufrage ?

Dix années en équipe à la voir peiner
Combattre pour survivre.
Mère solo, survivante, parent isolé
qui dirige un bateau ivre.

Nombres de pleurs, de cris, de moments de désespoir.
Jetée à la mer sans bouée de sauvetage.
Elle se réveillait toujours épuisée, broyant du noir.
Le moindre faux-pas et c’était l’abordage.

Travailler, trimer, nettoyer, faire les commissions.
Cuisiner, bricoler, gérer le budget.
Me conduire, me chercher, préparer mes collations.
S’occuper des devoirs, lire les histoires, sans aucun relais.

Les pipis, les cacas, les biberons, les vomis.
Les crises d’asthme, les retenues, les réunions d’école.
Les colères, les chagrins, les pleurs la nuit.
Elle s’est tout coltiné et en a souvent eu ras-le-bol.

Isolée dans une société où chacun vit pour soi.
Manquant de liquide pour s’autoriser une sortie.
Ce fameux trou financier qui l’empêche d’inviter qui que ce soit.
Pas de joie pour les anniversaires car le cadeau est hors de prix.

Je l’ai vue vieillir et souffrir seule pendant dix ans.
Je l’ai entendue sangloter et prier au crépuscule.
Une vie à l’arrêt, déshumanisée seule avec son enfant.
Mon papa nous a abandonnés C’est archi nul !

Et moi, j’en ai bavé. Moi, je l’aime ma mamounette.
J’ai accepté qu’elle me bouscule, qu’elle me hurle dessus.
Je suis devenu un pitre pour qu’elle soit en goguette.
Pour la voir rire et oublier une existence biscornue.

J’aurais aimé que les gens viennent la soutenir.
Les parents d’école, les voisins, les médecins.
Que quelqu’un se soucie d’elle et vienne la secourir.
Lui trouve une échappatoire et lui tienne la main.

Dix années en équipe à la voir peiner
Combattre pour survivre.
Mère solo, survivante, parent isolé
qui dirige un bateau ivre.

Sauf que depuis une semaine, sept jours exactement.
Mamounette n’est plus fatiguée. Son regard se colore.
Le matin, elle se lève du bon pied en chantonnant.
Plus puissante et fière que Nabuchodonosor.

Les chaussettes traînent partout mais elle ne dit rien.
Les mots pleuvent dans le journal de classe, elle les signe.
J’oublie mes devoirs, elle me dit juste « ce n’est pas bien ».
Je regarde la télé pendant des heures sans qu’elle ne cligne.

Sauf que depuis une semaine, depuis sa rencontre avec Paul.
Depuis sept jours exactement, elle se transforme en oiseau.
Elle ouvre ses ailes, très grand, respire profondément et décolle.
Elle saute du lit, joyeuse, m’embrasse et me serre le cœur tout chaud.

Je remercie le ciel d’avoir mis ce monsieur sur son chemin.
Elle était trop seule mamounette, superwoman c’était trop.
Et j’espère qu’il l’accompagnera longtemps car il lui fait du bien.
Je souffle depuis et peux enlever mon costume de Pierrot.

Je la vois heureuse pour la première fois.
Elle est belle et je l’aime de tout mon cœur.
Le bonheur n’arrive pas seule, croyez-moi.
J’en sais quelque chose, sa solitude m’a fait peur.

Dix années en équipe à la voir peiner
Combattre pour survivre.
Mère solo, survivante, parent isolé
qui dirige un bateau ivre.

Chapitre 2 : LA MÈRE
…Silence…plus d’asthme, plus de crise, plus de mensonge.
…Silence…il est tout calme mon petit loup.
Comme un grand, dans ses bouquins il se plonge.
Il range et respecte les limites tout à coup.

…Silence…que se passe-t-il ? C’est le miracle !
…Silence …pas d’engueulade, du calme à la maison.
Et moi, je le porte sur le pinacle.
C’est rare que je ne le gronde pas mon rejeton.

…Silence…il me suit dans l’escalier, un caneton collé à sa mère.
…Silence…c’est la première fois que je ne dois pas le chercher,
qu’il ne disparaît pas comme un courant d’air.
Le prodige serait-il enfin arrivé ?

Dix années de galère à l’élever seule.
Courir pour avancer.
Coupée de mon essence comme une gerbe de glaïeuls.
En mode survie et s’accrocher.

Accoucher seule, rentrer seule, le bébé sous le bras,
mystérieusement dans un monde sans sommeil,
où l’angoisse envahit l’air, elle prend le pas,
et me garde éternellement en mode veille.

Des années de nuits blanches.
Des années d’inquiétude.
Et pourtant, je l’aime mon ange,
Il m’a juste rendu la vie rude.

Pas de sous, pas de soutien.
J’ai plongé dans l’isolement.
Le mode survie m’a pris la main.
Et j’ai craqué tout doucement.

Moi qui rêvais d’être parent, j’ai découvert un gouffre.
J’ai heurté un monde égoïste et sans cœur.
Dans lequel il est normal qu’une maman souffre.
Où chacun savoure son propre bonheur.

J’ai crié au secours, je me suis battue.
J’ai travaillé, trimé, j’ai pris sur moi.
Mon enfant en premier sans que je ne me situe.
Survivre, trouver de quoi manger pour les repas.

Dix années de galère à l’élever seule.
Courir pour avancer.
Coupée de mon essence comme une gerbe de glaïeuls.
En mode survie et s’accrocher.

Je lui ai hurlé dessus.
Ma souffrance déteignait sur lui.
J’aurais aimé lui épargner cette déconvenue,
n’être que douce, bienveillante, un appui.

Tous ces moments de détresse.
Tous ces moments de désespoir.
Epuisée, isolée, dans une vie qui nous oppresse,
sont malheureusement gravés dans notre histoire.

Il aurait suffit d’un peu de soutien.
Un peu de présence, de compassion.
Une main tendue, un câlin.
Pour éviter la déshumanisation.

Sauf que depuis une semaine, depuis ma rencontre avec Paul.
Depuis sept jours exactement, la vie prend un autre goût.
Je respire, j’éprouve, je m’envole.
Son regard sur moi ouvre tous les verrous.

J’avais oublié que j’étais une femme.
J’avais oublié que je pouvais exister.
J’avais oublié que j’étais une dame.
J’avais oublié ce que c’était d’être touchée.

Sauf que depuis une semaine, sept jours exactement.
Je retrouve le sommeil, je chantonne.
Je ne suis plus que maman.
Mon âme heureuse s’abandonne.

Je me sens heureuse pour la première fois.
Depuis dix ans, depuis mon enfant.
Le bonheur n’arrive pas seule, croyez-moi.
J’en sais quelque chose, ma solitude m’a mise au banc.

Des années de galère à l’élever seule.
Courir pour avancer.
Coupée de mon essence comme une gerbe de glaïeuls.
En mode survie et s’accrocher.

Chapitre 3 : L’HOMME

Waouw…quelle énergie, je bondis !
Waouw…la claque, le coup de foudre !
Quelle femme ! Je suis ébloui.
Elle m’explose comme de la poudre.

Pas de bimbo, pas de petite fille.
Elle a du cran, de la poigne !
Point d’image, point de supercherie.
Une vraie dame qui se soigne.

Son petit, un chouette gamin.
Quelle maturité, quelle soif de vivre.
J’aimerais le prendre par la main.
Le sortir de son bateau ivre.

A l’aube de mes cinquante ans.
Un nouveau chapitre s’ouvre-t-il ?
Mes enfants devenus grands.
Moi qui pensais partir au Brésil…

Je me décide, je me lance, mon cœur me dit « vas-y ».
J’avais oublié que l’amour était puissant.
Je tente l’expérience, je la choisis et lui dit « oui ».
Je veux donner à nouveau une chance à l’attachement.

Un bonheur n’arrive pas seul.
Aujourd’hui, je le sais.
Je le vois d’un bon œil.
Quelle joie, je voudrais l’aimer.